Ils sont bourrés et heureux ; elle a cinquante ans et plus, il en a trente-cinq peut-être, elle est marquée, formes lourdes sous robe paille et blouson cuir, fatiguée mais l’oeil vif, boucle d’oreille nacrée, le charme gourmand de la défaite. Lui est brun-gris, grand, voûté, verres correcteurs en culs de bouteille, bon bougre bigleux, il est presque beau. Mais impatient. Il sait que ce soir, maintenant, tout à l’heure, plus tard, le sexe sera. Il attend, c’est elle qui décide. Quelques propos balivernes glissent vite vers l’érotique ambigu, le radical grivois. Elle est gironde, il est bourrasque. Elle me fixe longuement, j’ai ses yeux, elle me regarde en lui pelotant goulûment les fesses, il rit, se sourient, ils pourraient se gamahucher ici, debout au comptoir du bar de nuit, sybarites goguenards, évidents. Dans leur monde, pornographiques par essence ils parlent peu, ils s’acquiescent et profitent, ils profitent d’eux-mêmes, les gestes sont lents, appuyés. Le bar est à eux ce soir et pour toujours. Le parfum du désir est là. Presque écoeurant.
© Tristan Jeanne-Valès 1986