Le hibou est revenu, grand ou petit-duc, je l’entends. Dans les arbres du cimetière, hauts murs et frondaisons, on l’entend ; là même où sont enterrés mes grands-parents, depuis longtemps. Mon grand-père, la maison qu’au sortir de la guerre il a construite, ma maison, le cimetière de l’autre côté de la rue, le cimetière dit des Quatre-Nations, mon grand-père slave, slovène et français, amoureux du nombre d’or et des gnomons, sans mémoire de sa Slovénie, mémoire solitaire et tue.
Je veux travailler le souvenir, le souvenir que j’ai de moi : je rêve indécis, je suis vierge, mon arbre est penché, la branche tombée, cassée net. Mon arbre est tordu ; hiatus, mais refuge.
Et demain j’irai sur la tombe. La tombe est proche : traverser la rue, longer le vieux mur en pierre de Caen, puis la double porte en fer, la franchir. Le calme, les arbres en brouillon de forêt. Démousser, disperser les feuilles amassées, nous sommes à l’automne. Ressurgissent les deux noms, les quatre dates sur la dalle grise. Rituel.
La tâche accomplie, j’irai à main droite, un peu plus bas (le cimetière est en pente, une pente douce) sur le tombeau-sarcophage de Trébutien, espérant croiser le spectre très dix-neuvième siècle de Jules Barbey d’A. venu visiter, tout en élégance crâneuse, l’ami fidèle et discuter avec lui des qualités ou défauts de Brummell : le Beau Brummell, après deux années de syphilis, de démence et d’enfermement au Bon-Sauveur, aurait pu lui aussi être enterré là s’il n’avait été de religion protestante.
De retour chez moi, j’écouterai le Love in vain de Robert Johnson qui, bien loin d’ici, au beau milieu des années dix-neuf cent trente et d’une croisée de chemins du Mississipi, rencontra le diable : assuré d’être immortel, il mourut à vingt-sept ans…
Une belle journée de trépassés.
Je veux travailler le souvenir, le souvenir que j’ai de moi : je rêve indécis, je suis vierge, mon arbre est penché, la branche tombée, cassée net. Mon arbre est tordu ; hiatus, mais refuge.
Et demain j’irai sur la tombe. La tombe est proche : traverser la rue, longer le vieux mur en pierre de Caen, puis la double porte en fer, la franchir. Le calme, les arbres en brouillon de forêt. Démousser, disperser les feuilles amassées, nous sommes à l’automne. Ressurgissent les deux noms, les quatre dates sur la dalle grise. Rituel.
La tâche accomplie, j’irai à main droite, un peu plus bas (le cimetière est en pente, une pente douce) sur le tombeau-sarcophage de Trébutien, espérant croiser le spectre très dix-neuvième siècle de Jules Barbey d’A. venu visiter, tout en élégance crâneuse, l’ami fidèle et discuter avec lui des qualités ou défauts de Brummell : le Beau Brummell, après deux années de syphilis, de démence et d’enfermement au Bon-Sauveur, aurait pu lui aussi être enterré là s’il n’avait été de religion protestante.
De retour chez moi, j’écouterai le Love in vain de Robert Johnson qui, bien loin d’ici, au beau milieu des années dix-neuf cent trente et d’une croisée de chemins du Mississipi, rencontra le diable : assuré d’être immortel, il mourut à vingt-sept ans…
Une belle journée de trépassés.
© Tristan Jeanne-Valès, Caen. 2008