La villa Saint-Michel a toujours existé. Elle domine une plage normande, ni plage du Débarquement ni parisienne à planches, qui lorgnent au nord, mais plein ouest, tout au bas du Cotentin, quelque part entre Granville et Saint-Jean-le-Thomas. Où la mer est plus douce, le vent plus fort et les hortensias très bleus. Elle a toujours été là ; quand j’étais enfant, elle était là. Austère et grandiose, inhabitée. Hautes pierres grises face à la mer, rouillées par le sel et la pluie, ouvertures arrondies donnant sur la digue, un jardin fou entouré de murets, un arbre droit où venaient nicher les buses, balcons en bois sombre, escalier de granit menant à la porte close, je l’ai toujours vue, je n’y suis jamais entré. Derrière un bosquet de tamaris, dos au mur, j’ai osé et reçu mon premier baiser, l’élégance confuse de nos treize ans.
On a dit la villa Saint-Michel construite par Eiffel, on l’a dite éternellement vide et, pourquoi pas, hantée la nuit. On disait qu’à l’arrière, au fond du jardin, du côté est, du côté des falaises, une véranda abritait la statue d’une femme nue sous un immense camélia, cent fleurs blanches y éclosaient à la saison ; je m’en souviens. On a raconté que certains soirs de lune rousse un joueur de cornemuse irlandaise déroulait ses arpèges, tout là-haut sous les toits, dans une pièce carrée ; je l’ai entendu, plus d’une fois. La villa Saint-Michel, aujourd’hui encore, impose sa présence ; personne n’y vit, personne n’y vivra ; qui le pourrait ? moi, peut-être.
On a dit la villa Saint-Michel construite par Eiffel, on l’a dite éternellement vide et, pourquoi pas, hantée la nuit. On disait qu’à l’arrière, au fond du jardin, du côté est, du côté des falaises, une véranda abritait la statue d’une femme nue sous un immense camélia, cent fleurs blanches y éclosaient à la saison ; je m’en souviens. On a raconté que certains soirs de lune rousse un joueur de cornemuse irlandaise déroulait ses arpèges, tout là-haut sous les toits, dans une pièce carrée ; je l’ai entendu, plus d’une fois. La villa Saint-Michel, aujourd’hui encore, impose sa présence ; personne n’y vit, personne n’y vivra ; qui le pourrait ? moi, peut-être.
© Tristan Jeanne-Valès - Normandie. 1987