À Limoges, à deux pas de la gare, avenue du Général de Gaulle, en surplomb des rails, des voitures sont garées. Sous les marronniers. Fin septembre.
En terrasse de l’auberge du kebab je sirote un thé turc, âpre, presque noir, très chaud, excellent. La patronne, que je complimente, me dira qu’elle le fait moins fort pour les femmes. En face, les marrons dégringolent, bogues et fruits durs viennent percuter les tôles des automobiles en stationnement. Bruits secs, incessants, solitaires ou rafales sur carrosseries innocentes et passives. À Trouville, sur la côte normande, en cet autre bout de France qui est le mien, ce sont chiures de mouettes et de goëlands qui attaquent dru et s’en vont repeindre capots et pare-brise. Petites vengeances de petits dieux citadins que l’on aurait tort d’oublier.
Plus tard, je boirai une bière Efes, turque elle aussi, à la même terrasse, au sortir d’un cinéma : Djam de Tony Gatlif, tout plein d’exils et de rébétiko. Des larmes parfois, mais pour d’égoïstes raisons : je ne voyage plus, je ne photographie plus ces musiciens de quartier, ces musiciens du vent, de la terre et de l’âme de la terre. Je ne voyage plus, je me suis arrêté, noyé, indécidé –ce mot que j’emprunte à Pierre Michon–.
Une année passe, et quelques mois ; j’écoute la musique de Djam, la voix de Despina Pagioula sur oud et bouzouki, ce moment en terrasse turco-limougeaude me revient en mémoire… Tony Gatlif : je veux des portraits de lui, Il me faut ce portrait, sa gueule, sa gueule en face à face. Rendez-vous est pris –mardi, quinze heures, Paris, rue du Faubourg Saint-Antoine– puis annulé : une voix sur messagerie, une voix de femme, je l’imagine jeune, blonde, fraîche, efficace, chiante. Il me rappellera en fin de journée : vendredi, même heure, au pied de l’église Saint-Joseph, Paris onzième.
J’y suis en avance. J’ai le trac, le trac est bon signe, j’attends. Tony Gatlif, vieux cinéaste gitan, berbère et gitan : un mur en noir et bleu, quelques ombres, un peu de lumière rasante, la lumière de février. À la cinquième photo, je perds son regard. Peut-être est-ce bien ainsi. Perdre le regard, capter le regard perdu. Quelques minutes pour un visage, pour une voix, pour une terrasse, pour un rythme grec, pour un film. Puis un verre au Café Populaire, rue Saint-Maur, son quartier.
Oui. Mais le doute. Ce soir, de retour à la maison, ma maison blanche et bleue, j’écouterai Djam, je m’enivrerai rébétiko en buvant du vin rouge, et l’ivresse au bout des doigts, j’irai tutoyer les arbres, les passiflores, la pluie. Et là, je choisirai la photo.
En terrasse de l’auberge du kebab je sirote un thé turc, âpre, presque noir, très chaud, excellent. La patronne, que je complimente, me dira qu’elle le fait moins fort pour les femmes. En face, les marrons dégringolent, bogues et fruits durs viennent percuter les tôles des automobiles en stationnement. Bruits secs, incessants, solitaires ou rafales sur carrosseries innocentes et passives. À Trouville, sur la côte normande, en cet autre bout de France qui est le mien, ce sont chiures de mouettes et de goëlands qui attaquent dru et s’en vont repeindre capots et pare-brise. Petites vengeances de petits dieux citadins que l’on aurait tort d’oublier.
Plus tard, je boirai une bière Efes, turque elle aussi, à la même terrasse, au sortir d’un cinéma : Djam de Tony Gatlif, tout plein d’exils et de rébétiko. Des larmes parfois, mais pour d’égoïstes raisons : je ne voyage plus, je ne photographie plus ces musiciens de quartier, ces musiciens du vent, de la terre et de l’âme de la terre. Je ne voyage plus, je me suis arrêté, noyé, indécidé –ce mot que j’emprunte à Pierre Michon–.
Une année passe, et quelques mois ; j’écoute la musique de Djam, la voix de Despina Pagioula sur oud et bouzouki, ce moment en terrasse turco-limougeaude me revient en mémoire… Tony Gatlif : je veux des portraits de lui, Il me faut ce portrait, sa gueule, sa gueule en face à face. Rendez-vous est pris –mardi, quinze heures, Paris, rue du Faubourg Saint-Antoine– puis annulé : une voix sur messagerie, une voix de femme, je l’imagine jeune, blonde, fraîche, efficace, chiante. Il me rappellera en fin de journée : vendredi, même heure, au pied de l’église Saint-Joseph, Paris onzième.
J’y suis en avance. J’ai le trac, le trac est bon signe, j’attends. Tony Gatlif, vieux cinéaste gitan, berbère et gitan : un mur en noir et bleu, quelques ombres, un peu de lumière rasante, la lumière de février. À la cinquième photo, je perds son regard. Peut-être est-ce bien ainsi. Perdre le regard, capter le regard perdu. Quelques minutes pour un visage, pour une voix, pour une terrasse, pour un rythme grec, pour un film. Puis un verre au Café Populaire, rue Saint-Maur, son quartier.
Oui. Mais le doute. Ce soir, de retour à la maison, ma maison blanche et bleue, j’écouterai Djam, je m’enivrerai rébétiko en buvant du vin rouge, et l’ivresse au bout des doigts, j’irai tutoyer les arbres, les passiflores, la pluie. Et là, je choisirai la photo.