Juillet 1967, Carolles, Avenue de la Plage. Trois cents mètres bordés de villas familiales, sœurs, cousines, jumelles ou pièces rapportées, La Brise, La Pergola, Villa des dunes, La Dometo, Les Mouettes… trois cents mètres d’Avenue, cailloux et gravier grossier –l’uniforme du macadam viendra des années plus tard– creux et bosses qui donnent sur la digue, le sable et les vagues. Un front de mer, deux rangées de cabines blanches, au pied de l’étrange austère Villa Saint-Michel. Au loin, au nord-ouest, les îles Chausey se découpent très nettes sur l’horizon. Signe de pluie pour demain, dit-on ; ce qui est vrai, ou faux, c’est selon ; météo sommaire transmise par les grand-mères…
Sur la plage, à l’écart des parasols rouillés par le sel et les hivernages, mais que l’on ressort religieusement chaque été, deux garçons jouent, ils portent bermudas tahitiens à fleurs rouges –c’est la mode– et cheveux coupés court –c’est la règle–, ils sont bronzés comme des caramels, ils ont douze ans. Un circuit dans le sable, un tracé tassé dur, des virages relevés, des dos d’ânes, un pont, deux chicanes ; les boules de varech séchées, plus véloces, ont remplacé les billes en verre. Ferrari rouge, Ford blanche à bandes bleues, Fiat Abbarth, Lotus vert anglais, Jaguar Type E, ils jouent, ils sont sérieux, c’est une course.
Quelques baigneurs au loin, une belle fin d’après-midi, la vraie foule arrivera en août.
Ils ne jouent plus, ils discutent. A voix basse. Ils ont rendez-vous ce soir, ils le savent, ils en ont déjà parlé. Un brin d’inquiétude peut-être, l’impatience à coup sûr. Attendre.
La nuit est là. Tout est silence. Deux ombres se faufilent sous les haies de troènes : un jardin, tamaris et roses trémières, une villa de plain-pied. Ils approchent, prudence, échangent par signes, encore quelques mètres…
Derrière les volets clos, ou presque clos, la femme est nue, elle a trente ans, ils en ont douze, ils contemplent, fascinés et cachés, la nudité femelle, adulte, interdite. Les cheveux sombres, le cou, les seins pâles et leurs pointes dures, le ventre, le nombril, les marques lisibles du bronzage et les poils noirs du pubis, les courbes, les cuisses. Pas un bruit, le temps est arrêté. La lumière est douce, les ombres sont douces. Le souffle court, ils regardent le corps en mouvement de la femme nue. Elle marche dans la pièce, elle se déplace lentement, cigarette à la main, disparaît parfois de ce champ de vision étroit, bien trop étroit, va s’asseoir au bord du lit, se masse les jambes, les flancs, la nuque, onguents et parfums, elle prend soin d’elle, du bout des doigts, rêveuse et seule au monde, ignorante de leur présence derrière le volet presque clos.
Un bruit, un craquement, elle est debout, droite, aux aguets, elle scrute. Le regard se tourne alors vers la fenêtre, vers ce coin de volet, le peignoir passé à la hâte est ouvert, elle ne fait rien de plus pour se couvrir, immobile et fière.
Des deux garçons, l’un est déjà loin, l’autre est là encore, figé, hypnotisé par les quelques secondes de ce faux face à face, ambigu, trouble, brut. Et s’enfuit abasourdi silencieux.
Je ne saurai jamais si elle m’a vu.
Sur la plage, à l’écart des parasols rouillés par le sel et les hivernages, mais que l’on ressort religieusement chaque été, deux garçons jouent, ils portent bermudas tahitiens à fleurs rouges –c’est la mode– et cheveux coupés court –c’est la règle–, ils sont bronzés comme des caramels, ils ont douze ans. Un circuit dans le sable, un tracé tassé dur, des virages relevés, des dos d’ânes, un pont, deux chicanes ; les boules de varech séchées, plus véloces, ont remplacé les billes en verre. Ferrari rouge, Ford blanche à bandes bleues, Fiat Abbarth, Lotus vert anglais, Jaguar Type E, ils jouent, ils sont sérieux, c’est une course.
Quelques baigneurs au loin, une belle fin d’après-midi, la vraie foule arrivera en août.
Ils ne jouent plus, ils discutent. A voix basse. Ils ont rendez-vous ce soir, ils le savent, ils en ont déjà parlé. Un brin d’inquiétude peut-être, l’impatience à coup sûr. Attendre.
La nuit est là. Tout est silence. Deux ombres se faufilent sous les haies de troènes : un jardin, tamaris et roses trémières, une villa de plain-pied. Ils approchent, prudence, échangent par signes, encore quelques mètres…
Derrière les volets clos, ou presque clos, la femme est nue, elle a trente ans, ils en ont douze, ils contemplent, fascinés et cachés, la nudité femelle, adulte, interdite. Les cheveux sombres, le cou, les seins pâles et leurs pointes dures, le ventre, le nombril, les marques lisibles du bronzage et les poils noirs du pubis, les courbes, les cuisses. Pas un bruit, le temps est arrêté. La lumière est douce, les ombres sont douces. Le souffle court, ils regardent le corps en mouvement de la femme nue. Elle marche dans la pièce, elle se déplace lentement, cigarette à la main, disparaît parfois de ce champ de vision étroit, bien trop étroit, va s’asseoir au bord du lit, se masse les jambes, les flancs, la nuque, onguents et parfums, elle prend soin d’elle, du bout des doigts, rêveuse et seule au monde, ignorante de leur présence derrière le volet presque clos.
Un bruit, un craquement, elle est debout, droite, aux aguets, elle scrute. Le regard se tourne alors vers la fenêtre, vers ce coin de volet, le peignoir passé à la hâte est ouvert, elle ne fait rien de plus pour se couvrir, immobile et fière.
Des deux garçons, l’un est déjà loin, l’autre est là encore, figé, hypnotisé par les quelques secondes de ce faux face à face, ambigu, trouble, brut. Et s’enfuit abasourdi silencieux.
Je ne saurai jamais si elle m’a vu.
© Tristan Jeanne-Valès - 2016