A Porto, au pied du grand pont Dom Luiz 1, tout d’acier et de brumes marines, sur le quai, dans sa maison filiforme accolée à une chapelle, le Duc de Ribeira veille. Il repêche les suicidés. Il connaît le fleuve. Il lit le fleuve, les remous, les courants. Il sait. Il traque et trouve les cadavres dérivés, les corps noyés. Il les accroche de sa longue gaffe, les remonte. Puis il reçoit les familles défaites, surprises, endeuillées. Il les réconforte, il essaie. Ce n’est pas une légende. C’est une légende : il est mort. Mort, assis dans son fauteuil au premier étage d’une bâtisse maigre, face au fleuve, mort au pied du pont des suicidés. Ce pourrait être un Fado. Porto la Grise, Lisboa la Blanche. Fado, la nostalgie du futur, saudade intraduisible dans notre langue française ; le chant triste et juste. J’aimerais vous chanter la ballade du silence, Madame. ( Cette tristesse que je porte en moi, à qui la dois-je ? Et c’est un Fado.) Ces chants profonds repris debout à la table, les six doubles-cordes cristal de la guitare portugaise, cette langue chuintante et rugueuse, donc obscure, les bars déglingues et sous-exposés, magnifiques de déglingue et de sous-exposition, ce trop-plein d’azulejos et ces rouges garance que j’aime tant, le vin fort de l’Alentejo, les musiques en ombres pleines et bleues, comment les dire ?