Elle s’appelle Fleur. Elle me connaît, elle dit qu’elle me connaît, elle se souvient de moi, de ce café partagé à la terrasse d’un autre bar, au sortir de l’un de mes nombreux rendez-vous dentaires, une incisive en moins, la main devant la bouche, gêné… elle évoque, elle en rit, me raille gentiment… On se salue. On se rapproche. Elle est très jolie, c’est la nuit, c’est l’été, robe noire ouverte sur la naissance des seins, bracelets, pas de maquillage –ou alors le souvenir d’un–, une épaisseur sensuelle et rieuse, les yeux clairs et, sur cette plénitude, la finesse des doigts de la main baguée, les tendons, l’avant-bras, les genoux, les épaules bronzées à point ; je la devine, l’imagine, la veut nue sous sa robe. Fleur. Elle parle à son amie, vient de dire mon prénom. Ce soir j’arbore sans honte un méchant cocard, un fort bel oeil au beurre noir, vestige de la morsure d’une araignée venue profiter de mon sommeil pour me vampiriser la paupière. Pas de chance avec elle, mais de ce second bobo facial, très évident, elle ne dira rien, no question… Peut-être la vouvoierai-je ; et lui demanderai tout à l’heure avec qui elle a fait l’amour la nuit dernière. Curiosité, provocation, l’envie de savoir… Elle sourit, un rien de gourmandise dans ce sourire. Avec une femme, me dit-elle. Nous avons donc les mêmes goûts, lui dis-je. Offrons-nous à boire. Buvons encore de ce Chenin Colombard, ce vin de troquet que l’on surnomme entre amis, mes amis de troquet, Chemin des chenapans. Blanc fort, sec, fruité.